Le nouveau statut fiscal qui va transformer l’industrie

Abdellatif Bernossi est expert-comptable et commissaire aux comptes. Ancien président du Conseil national de l’Ordre des experts-comptables, il dirige actuellement un cabinet membre du réseau Moore Stephens International (Ph. A.B)

En l’absence d’un gouvernement qui aurait dû être formé à l’issue du scrutin du 7 octobre 2016 et en application des dispositions prévues par la loi dans une telle situation, une «loi de finances» en format réduit a été promulguée par décret du chef de gouvernement.

Ainsi, et à défaut d’un dahir promulguant, après vote du Parlement, une loi de finances sur la base du projet préparé par l’équipe sortante, nous nous trouvons avec une mouture extraite en l’état du projet initial. La Direction générale des impôts a publié une note de service datée du 17 janvier 2017 tenant lieu de la traditionnelle circulaire sur les mesures fiscales. Mais à la différence de la circulaire, cette note ne traite pas de la totalité de tous les apports en matière fiscale. Ainsi les dispositions relatives à l’extension des avantages accordés aux entreprises installées dans les zones franches et aux entreprises exportatrices à d’autres opérateurs ou activités n’y apparaissent pas. Pour certaines dispositions, le législateur a conditionné leur mise en œuvre par des mesures réglementaires. D’autres, en revanche, sont applicables immédiatement sans condition si ce n’est l’obligation de justifier de l’export final des produits concernés.

Si elles sont transposées en l’état dans la loi de finances, ces dispositions posent les jalons d’une révolution fiscale pour l’industrie marocaine. Prenons les mesures du décret qui ciblent les activités industrielles.
La première concerne l’extension du régime spécifique aux entreprises installées dans les zones franches d’exportation à la vente de leurs produits hors zones franches à la condition de justifier de l’export final desdits produits. Le traitement fiscal des ventes sur le territoire assujetti a, depuis longtemps, constitué un sujet de polémique et de tensions entre  le fisc et les opérateurs installés dans les zones franches d’exportation. La question a été tranchée finalement, par voie de justice, en faveur de la thèse défendue par l’administration et les entreprises concernées ont régularisé leur situation en payant l’impôt au taux de droit commun.

Les entreprises industrielles exerçant des activités, à fixer par voie réglementaire, bénéficieront d’une exonération totale de l’impôt sur les sociétés pendant les cinq premiers exercices. Cette mesure spectaculaire devrait contribuer à la progression de la part de l’industrie dans  le PIB (Ph. OD)

A la faveur des nouvelles dispositions, la logique économique semble l’avoir emporté sur la logique budgétaire au moyen d’une démarche de cohérence générale visant l’érection de l’industrie exportatrice en priorité économique.
Une deuxième série de dispositions intéresse l’extension du régime fiscal  «exportateur» à certaines activités. Il en est ainsi des ventes réalisées par les entreprises du territoire assujetti au profit des entreprises installées dans les zones franches d’exportation. En effet, ces produits sont destinés, in fine, à être exportés. Il en est de même pour les entreprises industrielles au titre de la vente de leurs produits fabriqués à des entreprises qui exportent en dernier  ressort. Cette disposition est conditionnée par la définition des activités concernées par voie réglementaire.

L’ensemble des dispositions passées en revue concourt à reconnaître enfin le statut d’exportateur indirect, et de lui faire bénéficier des avantages accordés aux activités exportatrices en termes de taux réduit de l’impôt sur les sociétés.
Enfin, la dernière disposition fiscale concerne les sociétés industrielles exerçant des activités, à fixer par voie réglementaire, lesquelles bénéficieront d’une exonération totale de l’impôt sur les sociétés pendant les cinq premiers exercices consécutifs à compter de la date de leur début d’exploitation.  Ainsi donc, le gouvernement décline partiellement la nouvelle charte de l’investissement.
L’histoire économique a démontré la place prépondérante dans la création de valeur de l’activité industrielle. Menée à bon escient, la politique industrielle permet de pérenniser des taux de croissance à même de résorber le chômage et de consolider le développement du pays.

Notre modèle économique, dont plusieurs voix s’élèvent pour en réclamer la révision, présente une grande fragilité eu égard à sa forte dépendance par rapport à l’agriculture et aux aléas climatiques. Quand on sait que le taux de croissance des activités industrielles n’a été que de 1,9% en 2016 et sera de 2,5% seulement en 2017 et que la croissance hors agriculture est passée de 4,7% entre 2000 et 2012 à 1,9% entre 2013 et 2016, on ne peut que s’alarmer et pousser à une réflexion sérieuse sur notre avenir économique.

Dépense fiscale vs investissement fiscal

Certaines voies pourraient émettre des réserves sur cette nouvelle augmentation de dépenses fiscales estimées à quelque 35 milliards de dirhams. Sur ce plan, il y a lieu d’établir un distinguo entre dépense fiscale et investissement fiscal. En effet, il conviendrait de séparer, après évaluation, les exonérations qui constitueront les recettes de demain et les dépenses qui confinent plutôt à des situations de rente sans valeur ajoutée pour l’économie.
Certes des difficultés d’application sur le terrain de certaines mesures ne manqueront pas de surgir. Mais il conviendrait de s’atteler à respecter l’esprit de ces dispositions qui visent la promotion d’un pan important de notre économie.
En tout état de cause, les dispositions fiscales du décret ne manqueront pas de consolider notre tissu industriel qui doit être en mesure d’assurer la jonction avec les métiers mondiaux du Maroc, de profiter des délocalisations européennes et probablement chinoises ainsi que de l’ouverture du Maroc sur les marchés africains.
Il reste à savoir si ces dispositions seront reprises dans la version finale de la loi de finances pour 2017. Dans le cas contraire, il faudra gérer le traitement fiscal des opérations à cheval sur deux périodes de l’année 2017 à législation différente.

Source: leconomiste